Ce journal est un torchon nul propageant des nouvelles fausses Des histoires à dormir debout, la maquette en est défoncée Les photos glissent à l'envers, on y vend à toutes les sauces Des flots d'improbables détails et des inventions éhontées Tu liras par hasard de mes nouvelles un jour dans cette feuille L'aventure d'un chef de bande emmenant son armée du deuil Sur un lac de cendres dans l'Alpe et son cheval était un aigle Blanc comme la montagne dont l'aile est derrière ta maison Il a dit, dit-on, pour une femme jadis perdu la raison Des filles mangent dans sa main lorsqu'il les invite à sa table Elles emportent dans leurs nids des morceaux sanglants de chansons Et la nuit est striée par son mugissement épouvantable C'était moi et ce sera moi, bien sûr, ce soudard. Il portait À la hanche une mitraillette, une Sten, datant des Glières Son manteau couleur des milles douleurs descendait jusqu'à terre Inventons n'importe quoi. Oui, cela t'indiffère, je sais... Aimes-tu ces mots sarcastiques, ces corbeaux devant ta porte ? Préfères-tu ce décor-là à notre ancien lit d'oraisons ? Je viens ! Je viens ! Mes sourcils sont des blés brûlés. Une enfant morte Joue dans mes yeux. Un con de journaliste pose des questions "Est-il vrai que pour vous venger, entre Nyons et Bellegrade Vous avez brûlé cent hameaux ?" Qu'il demande, l'air inspiré J'égorge oui tant que je peux, un souvenir me darde J'eus le tort d'être en retard pour un poème à la mijaurée Eh, le plumiste ! Tu te souviens, la maîtresse de Ciano ? La tricheuse de Trieste qui se prétendait "irredente" ! Ça se donnait des airs, Dieu sait ! Ça se voulait toujours "al dente" ! Je me suis fait visiter dans les grandes largeurs, puis "ciao !" Sur la paupière elle me mit sa salive à liqueur d'argent Ça ne fait pas mal sur le coup mais très longtemps après ça dure Au début, c'est tellement doux... L'amour vous aura à l'usure Je fous le feu au pays pour soigner le mal par le tourment Il descend vers elle à tombeau ouvert dans l'antique Talbot Un casque en cuir cache la moitié de visage qui lui manque Un de ces soirs, on videra la baignoire en stuc des calanques ! Comme je n'ai plus de roustons, je me contente d'être beau Tuez-en douze de mieux ! Il rit comme un torrent, un fracas Et n'est-ce pas que tu l'entends qui dérape dans ta montagne L'orage méchant, tandis que dans les combes et les ventres stagne Votre menterie douceâtre de femmes ! Ah si on connaît ça ! Je suis obligé de tuer au hasard et c'est pas du boulot ! Oui mais, mes sbires ont pas le temps : alors vous croyez qu'ils choisissent ? Et pour être injuste au hasard, il faut vraiment qu'on s'investisse C'est malaisé d'être vraiment absurde dans un monde idiot ! Oui, j'ai cassé du bois dans le brouillard de certain lit, les sources Et le reposoir s'éteignaient comme un mensonge en fin de course Comme une épicerie à sept heures, plutôt et où grinçait Le rideau de fer sur le cœur de la dame : un rire, on fermait Et on ne m'en voulait pas plus, bah, qu'aux changements de saisons Cette fois-là, ce ne fut rien qu'un caprice moqueur des anges Dérangés comme un essaim de peurs évidemment qui se vengent Et d'ailleurs chacun dit qu'on m'aura aimé plus que de raison Le crétin de soir niais se couche sur l'immense tombola Lui, la haine lui dicte encore un lambeau d'un poème étrange Il se les arrache comme des croûtes. La belle en vola Un qu'elle jeta après y avoir sucé le suc des anges Eh, journaleux ! Écoute un peu, descends de ta machine à coudre Viens suivre mon raisonnement, je t'ai dans mon collimateur Je vais foutre le feu à ta prose. Eh, mais tu trembles de peur ? "Non, c'est d'excitation, monsieur ! C'est l'odeur de la vieille poudre" Si elle ne m'a pas aimé, elle n'a plus de droits sur moi Tandis que moi avec elle je peux construire un nouveau monde Je la possède par les mots, Je peux la teindre même en blonde J'ai pouvoir de vie et de mort sur elle, hein, que dis-tu de ça ? "Ouais ! Dans dix ans tu la feras danser encore avec ton fouet Docilement dans ton manège avec le nom que tu voudras" Fait le journaliste épaté. Ça fera un sublime jouet ! Allez, emmène-nous conquérir Samarcande et cætera Il n'y a que les mots pour posséder les gens longtemps, tu vois C'est beaucoup plus efficace que l'amour et toutes ces choses Avec de la haine pour terreau on fait fleurir d'étranges roses En forme de larmes qui éclatent dans le beau ciel lilas Il n'y a que les mots pour posséder les gens longtemps, mon vieux ! Alors soyons paradoxal comme le désamour sans yeux Détruisons la basilique des mots ! Brûlons la belle engeance ! Les mots ! Il faut que ces cons comprennent qu'il faut plus qu'ils y pensent "C'est formidable de malheur !" Fait le plumiste qui disjoncte Égorge-moi, vas-y, de ce coup-là je suis le seul témoin Et du fait le seul pour le scoop : donc écrase-moi dans ta main C'est tout à fait nihilique ! Détruisons tout ! Faisons-nous honte ! Poème du fou à cheval, poème à la crinière en feu Le journal brûle et le glacier, et le glacier fait abstraction bête des cimes "Soyons amis" dit-elle un jour en fuyant. Abstention sublime ! Du sublime on va lui en donner du vrai, du gras, du poisseux Papier qui sert pour le poisson, sublime instrument des aveux Foutons le feu à notre histoire, à la blancheur, à cette feuille Brûlons le billet menteur où elle parlait des jours heureux Décevons-la, cassons notre beauté ancienne, ayons l'air vieux Tu as nié les jours heureux et tu as insulté nos sources Tu as trahi le destin qu'on se prévoyait à la Grande Ourse Eh bien compte sur moi, tu vas être dans le journal enfin ! Il faut que je distribue du rab de foie de femme à mes chiens Je cherche la laideur dorénavant, je cherche la démence J'ai mes sbires : ce sont mes mots qui partent crever d'un bon pas Pas de quartier, beaux hussards gris, ruinez bien l'antique romance Faites-moi mépriser bien de la victime et revenez pas ! Le beau respect, la belle foi dans les mots, dans l'ombre des choses Brûlez, brûlez, dites son nom, brûlez, ne vous arrêtez pas Le respect, la pudeur surtout, et votre ridicule explose Chantez pour rien, détruisez tout et chantez faux surtout, c'est ça Donc, voyez-le galoper haut qui monte vers le ciel des scènes Sachez aussi que le temps trop étiré en longueur ça saigne Son armée de mots mexicaine est victorieuse et la chanson Brûle et le journal et les mots. Il aurait pris Grasse et Menton ! J'ai voulu, cette histoire qui ne t'appartienne plus du tout Le fou vient par Cassis dit-on, et tu es cernée dans ta tête La rade brûle et c'est là pour une fois une étrange fête Te voilà reine du pays méchant par la grâce du fou J'ai voulu que l'infidèle naisse enfin un monde inverse J'ai voulu faire de toi mon objet et te prostituer là J'ai voulu faire un monde qui soit un torchon brûlé, l'averse Pousse indéfiniment mes chansons dans le caniveau vers toi